Jacques Van Rillaer is a distinguished professor (emeritus)
at the University of Louvain in Belgium. Van Rillaer teaches cognitive and behavioral psychology. Recently, he wrote a review of my work
and of my new book.
It is long and detailed, and written in French. I reproduce it as written. Those who
have some command of the language will surely enjoy it. [Those who would like an English translation can follow the link posted by commenter Ares Olympus in the comments section.]
Among Van Rillaer’s other works, I recommend his review of
Elisabeth Roudinesco’s recent biography of Freud. Link here.
Herewith Van Rillaer’s review:
En
1973, l’Américain Stuart Schneiderman a abandonné sa carrière de professeur
d’anglais pour devenir psychanalyste. Il s’est rendu à Paris pour une analyse
didactique chez Lacan.
Après
quatre années d’analyse, il est retourné à New York et y a pratiqué l’analyse.
Dans son article « Mon analyse avec Lacan » (Psychologie, 1978, 102 : 31-36),
il a raconté comment Lacan menait ses analyses : « Pendant une séance
d'analyse, Lacan n'est jamais un observateur passif, impersonnel, jouant le
rôle proverbial de l'écran sur lequel se projettent les fantasmes du patient.
Il ne reste pas tranquillement assis sur sa chaise ; il marche de long en large
dans la pièce, il gesticule, tantôt il fixe le patient, tantôt il ferme les
yeux. Il peut vous accueillir un jour comme si vous étiez l'un de ses amis
intimes et remarquer tout juste votre présence le lendemain » 1.
A cette
époque, Schneiderman justifiait la pratique des séances à durée variable,
invariablement beaucoup plus courtes que la durée réglementaire prescrite par Freud
et l’Association Internationale de Psychanalyse : « Les séances courtes servent
à intensifier la relation entre l'analyste et l'analysé, en la rendant plus
imprévisible. Avec Lacan, la durée d'une séance peut varier d'une fois à
l'autre. C'est encore un moyen qu'utilise Lacan pour détourner l'esprit du
patient vers l'inconscient » (p. 33).
Schneiderman
a publié plusieurs ouvrages psychanalytiques, notamment la traduction
d’articles de Lacan et de lacaniens célèbres : Returning to Freud : Clinical Psychoanalysis
in the School of Lacan (Yale University Press, 1980, 263 p.).
A
l’occasion de cette publication, il a été interviewé par la revue lacanienne
Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien (1981, 21 : 175-177).
Il
déclarait alors être un des seuls lacaniens aux États-Unis, mais il espérait
faire école : « Les Etats-Unis ont accepté tellement de choses et ils ont si
peu tendance à exclure qu’il semble tout à fait raisonnable de penser qu’un
jour il y a aura des lacaniens partout ici, et il se pourrait bien qu’une fois
que ça arrive, ça se répande assez vite » (p. 176). 1
Rappelons
le décalage avec la technique freudienne, que Lacan lui-même avait prescrit : «
Quel souci conditionne l’attitude de l’analyste ? Celui d’offrir au dialogue un
personnage aussi dénué que possible de caractéristiques individuelles ; nous
nous effaçons, nous sortons du champ où pourraient être perçus cet intérêt,
cette sympathie, cette réaction que cherche celui qui parle sur le visage de
l'interlocuteur, nous évitons toute manifestation de nos goûts personnels, nous
cachons ce qui peut les trahir, nous nous dépersonnalisons, et tendons à ce but
de représenter pour l'autre un idéal d'impassibilité » (“L’agressivité en
psychanalyse”. Rééd. in Écrits, 1966, p. 106).
Il
notait de sérieuses difficultés à cette diffusion :
• « La
psychanalyse américaine est en crise, en faillite. Les analystes ne font
presque plus de psychanalyse. La crise est là depuis cinq ans environ. […] Pour
gagner leur vie, ils font de la psychothérapie, de la psychiatrie, ils
travaillent dans les hôpitaux » (p. 175).
• Le
cloisonnement des Écoles : « Ce n’est pas la même orthodoxie à New York, à
Chicago ou à Los Angeles. Un qui est orthodoxe dans le Middle West, ce n’est
pas la peine qu’il mette les pieds à l’Institut de New York. A New York, c’est
Arlow, Brenner, Edith Jacobson qui donnent le ton, et ils sont toujours assez
attachés à Hartmann, Löwenstein et Kris. C’est ce qui fait finalement l’unité à
New York. A Los Angeles par contre il y a plein de kleiniens. Et ça n’existe
pas, Mélanie Klein, à New York » (id.).
• La
rigidité des responsables de la formation psychanalytique : « Ce sont tous des
grands obsessionnels, tout le monde le sait, ils aiment ça, ils aiment se
réunir entre eux » (p. 176).
• Les
traductions d’une sélection des Écrits et des Quatre concepts fondamentaux de
la psychanalyse « sont assez mal faites, plutôt illisibles, et le peu d’intérêt
que l’éditeur y a mis n’a rien aidé » (p. 175).
• Un «
préjugé » à l’égard de Lacan : « Il est manifeste que les gens d’ici pensent
que Lacan est une sorte d’aristocrate de la psychanalyse, et que eux sont des
démocrates, des egos égaux, et donc qu’ils ne pourront pas apprendre Lacan »
(p. 176).
A lire
Schneiderman, ses clients ont joué un rôle important dans sa réorientation.
Il
relate qu’ils voulaient s’engager de façon plus productive dans la vie. Ils
disaient : « Voilà mon problème, que devrai-je faire pour cela ? » De moins en
moins disaient : « Voilà mon problème, qu’est-ce que cela signifie ? » Manifestement
les gens voulaient de la guidance, non des interprétations. Ils avaient rejeté
la conception traditionnelle de la thérapie. Ils voulaient des avis pratiques
2.
En
2014, Schneiderman a publié The last psychoanalyst 3. Le titre fait référence à
une des thèses de l’ouvrage, à savoir que Lacan est le dernier psychanalyste
qui a cru en l’efficacité de la cure freudienne, mais qui a fini par constater
que c’était un leurre. Lacan en est venu à déclarer en 1977, quelques années
avant sa mort, que la psychanalyse est « une escroquerie » : « Notre pratique
est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots
qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué. […]
Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien
d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le
monde. […]Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique.
Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi. Dans très peu de temps, tout
le monde s'en foutra de la psychanalyse. Il est clair que l'homme passe son
temps à rêver qu'il ne se réveille jamais. Il suffit de savoir ce qu'à nous,
les psychanalystes, nous fournissent les patients. Ils ne nous fournissent que
leurs rêves »4.
Schneiderman
fait remarquer que Lacan ne se contente pas de dire qu’il s’est trompé. Le mot
« escroquerie » est lourd de sens. Il indique que Lacan a continué à pratiquer
des cures alors qu’il avait constaté qu’elles n’avaient guère d’effet
thérapeutique. Lacan semble en avoir éprouvé de la culpabilité.
Une des
principales thèses de Schneiderman est que Freud a voulu faire de la science,
mais a produit une pseudoscience, qui s’est finalement transformée en
pseudo-religion, avec un culte, des « novices » qui s’initient par le rite de
la didactique, des textes sacrés, des dogmes, des « schismes » et la mise à
l’index de livres. Avec Lacan, la situation a empiré. Le gourou parisien a
réussi à se faire suivre, comme leader d’un culte, alors que les disciples comprenaient
très peu de chose de ce qu’il énonçait : « Dans l’Église freudienne, les
paroles de Lacan sont devenues l’objet d’un rituel sacré — une sorte de
communion — où des autorités sacerdotales récitent ses paroles comme si elles
étaient son corps et son sang. […] Si vous assistez à une réunion dirigée par
les grands prêtres du mouvement lacanien, vous entendrez des discours servant à
s’épancher avec des paroles de Lacan. Toutes les sentences commencent par
“Lacan a dit” ou par “Mais Lacan a dit” » (p. 228). « Dans la Sainte Église
lacanienne quasi personne ne comprend réellement l’enseignement de Lacan. Ainsi
l’ignorance est une glu qui unifie les membres. La plupart des membres sont
capables de marmotter quelques formules et citations vides, mais dans l’ensemble
ils ignorent et ont toujours ignoré ce que Lacan essayait d’enseigner. Ils sont
unis par la passion, non par la raison. […] Cela ne choquait pas Lacan. Il
savait que la plupart de ses disciples ne comprenaient pas ses idées. S’il
l’avait voulu, il aurait pu recalibrer son enseignement pour qu’on puisse le
comprendre. Il ne l’a pas fait. Cela n’a pas semblé le préoccuper » (p. 234).
La situation de la psychanalyse aux Etats-Unis est loin de s’être améliorée depuis les années 1970 : « Aux Etats-Unis, de moins en moins de psychanalystes pratiquent encore la psychanalyse. Certains continuent à s’appeler psychanalystes, mais ils passent de plus en plus de temps à rédiger des prescriptions et à coacher plutôt qu’à pratiquer la “dangereuse méthode” de Freud » (p. 257).
Schneiderman
passe en revue une série de traits de la personnalité de Freud et de Lacan,
ainsi que les principaux aspects du freudisme et du lacanisme. Voici quelques
exemples.
• Freud
est le père que la psychologie negative.
« Freud
a inventé la psychologie négative en se focalisant sur le côté sombre des
l’esprit humain. Il a privilégié les mauvais rêves, les traumatismes horribles
et des motivations dépravées » (p. 253). Son nom évoque la sexualité refoulée
ou frustrée, non la sexualité joyeuse. Pour lui, la sexualité c’est avant tout
le désir de commettre l’inceste.
• La
cure freudienne n’est guère efficace dès qu’il s’agit de problèmes sérieux Le
seul cas d’hystérie, traité par sa propre méthode, que Freud a présenté en
détail est un échec : Dora 5. Il a essayé de convaincre ses confrères et ses
lecteurs qu’il avait raison contre elle.
« Freud
appelait la psychanalyse “la cure par la parole”, mais elle a toujours été plus
des paroles qu’une cure » (p. 3).
• La
psychanalyse est aliénante « La psychanalyse est un processus d’extraction.
Elle cherche à vous extraire de votre vie et de vous introduire dans la
psychanalyse. Un bon freudien veut que vous travailliez avec lui afin qu’il
devienne l’expérience la plus significative de votre vie » (p. 61).
• Le
psychanalyste ne se laisse jamais remettre en question « Selon la règle du
transfert, vous exprimez votre colère à la mauvaise personne au mauvais moment
au mauvais endroit dans de mauvaises circonstances » (p. 63).
•
Schneiderman évoque l’absence de règles pour l’admission à l’École freudienne de
Paris, au début de sa création, par Lacan en 1964 : « Il n’y avait pas de
procédures d’admission, pas de curriculum, pas de remise de diplôme. Les gens
venaient et partaient, suivaient les cours comme ils voulaient, sans
s’encombrer d’exigences académiques. Les aspirants analystes poursuivaient la
connaissance, non des références » (p. 160).
•
Schneiderman rappelle son expérience de la didactique avec Lacan «
Contrairement à la plupart des psychanalystes, Lacan ne faisait pas semblant
d’être l’écran vide [blankscreen] proverbial (ou préverbal). Actif, animé, en
mouvement, il semblait plus intéressé à faire un show qu’à rester
tranquillement dans un fauteuil. Parfois Lacan recevait des patients en pyjama
ou en peignoir. Parfois il lisait le journal ou mangeait un repas. Parfois il
comptait des billets de banque et les assemblait avec des agrafes. Parfois il
faisait ou défaisait des nœuds. Parfois il semblait écouter intensément ;
parfois il semblait perdu dans ses propres pensées. Parfois il était affable ;
plus souvent il était grossier et dédaigneux » (p. 141) 6.
•
L’interprétation que donne Schneiderman des séances raccourcies a sensiblement
changé : « En modifiant de façon unilatérale sa pratique et en omettant d’en
donner l’explication, Lacan faisait comprendre qu’il pouvait faire ce qu’il
voulait parce qu’il était celui qu’il était. Des collègues croyaient qu’il
représentait la vérité freudienne. D’autres y voyaient une pure provocation.
Assurément, son intention était de montrer sa surnormalié »
• Schneiderman
analyse l’évolution de l’École lacanienne, notamment les conflits et sa
dissolution « Tandis que les véritables religions enseignent la camaraderie et
l’amitié, la pseudoreligion freudienne était destinée à produire le conflit et
le psychodrame » (p. 165).
Schneiderman
évoque beaucoup d’autres thèmes, notamment les conditions socioculturelles du
développement de la psychanalyse en Europe et aux Etats-Unis, l’interprétation
des rêves et des désirs, la vie conjugale de Freud, les manipulations de patients
par Freud, les mœurs de Lacan, ses relations avec Heidegger, la dissolution de
son École (« du grand Guignol »), la thérapie cognitive de Beck, le film « Le
Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », etc.
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ReplyDeleteOne more time, I'll get this right...
ReplyDeleteAnd for the rest of us ignorant Americans, we have a google French to English translated version
https://translate.google.com/translate?hl=en&sl=fr&tl=en&u=http%3A%2F%2Fstuartschneiderman.blogspot.com%2F&sandbox=1
I know a few words, but French I neither read nor speak. I see Google does a bit better.
ReplyDeleteStuart, Cliff notes please?
ReplyDeleteWhat would be really nice would be for some of the readers of this blog to post a few comments on the Amazon site... as a review of the book.
ReplyDeleteApparently, that has been too much to ask.
A third oops, here's the correct google translate link. (the other one was going to latest blog)
ReplyDeletehttps://translate.google.com/translate?hl=en&sl=fr&tl=en&u=http%3A%2F%2Fstuartschneiderman.blogspot.com%2F2015%2F02%2Fjacques-van-rillaer-reviews-last.html&sandbox=1
Or a shortcut!
http://tinyurl.com/m7y88hn