Thursday, February 26, 2015

Jacques Van Rillaer Reviews "The Last Psychoanalyst"

Jacques Van Rillaer is a distinguished professor (emeritus) at the University of Louvain in Belgium. Van Rillaer teaches cognitive and behavioral psychology. Recently, he wrote a review of my work and of my new book.

It is long and detailed, and written in French. I reproduce it as written. Those who have some command of the language will surely enjoy it. [Those who would like an English translation can follow the link posted by commenter Ares Olympus in the comments section.]

Among Van Rillaer’s other works, I recommend his review of Elisabeth Roudinesco’s recent biography of Freud. Link here.

Herewith Van Rillaer’s review:

En 1973, l’Américain Stuart Schneiderman a abandonné sa carrière de professeur d’anglais pour devenir psychanalyste. Il s’est rendu à Paris pour une analyse didactique chez Lacan.

Après quatre années d’analyse, il est retourné à New York et y a pratiqué l’analyse. Dans son article « Mon analyse avec Lacan » (Psychologie, 1978, 102 : 31-36), il a raconté comment Lacan menait ses analyses : « Pendant une séance d'analyse, Lacan n'est jamais un observateur passif, impersonnel, jouant le rôle proverbial de l'écran sur lequel se projettent les fantasmes du patient. Il ne reste pas tranquillement assis sur sa chaise ; il marche de long en large dans la pièce, il gesticule, tantôt il fixe le patient, tantôt il ferme les yeux. Il peut vous accueillir un jour comme si vous étiez l'un de ses amis intimes et remarquer tout juste votre présence le lendemain » 1.

A cette époque, Schneiderman justifiait la pratique des séances à durée variable, invariablement beaucoup plus courtes que la durée réglementaire prescrite par Freud et l’Association Internationale de Psychanalyse : « Les séances courtes servent à intensifier la relation entre l'analyste et l'analysé, en la rendant plus imprévisible. Avec Lacan, la durée d'une séance peut varier d'une fois à l'autre. C'est encore un moyen qu'utilise Lacan pour détourner l'esprit du patient vers l'inconscient » (p. 33).

Schneiderman a publié plusieurs ouvrages psychanalytiques, notamment la traduction d’articles de Lacan et de lacaniens célèbres : Returning to Freud : Clinical Psychoanalysis in the School of Lacan (Yale University Press, 1980, 263 p.).

A l’occasion de cette publication, il a été interviewé par la revue lacanienne Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien (1981, 21 : 175-177).

Il déclarait alors être un des seuls lacaniens aux États-Unis, mais il espérait faire école : « Les Etats-Unis ont accepté tellement de choses et ils ont si peu tendance à exclure qu’il semble tout à fait raisonnable de penser qu’un jour il y a aura des lacaniens partout ici, et il se pourrait bien qu’une fois que ça arrive, ça se répande assez vite » (p. 176). 1

Rappelons le décalage avec la technique freudienne, que Lacan lui-même avait prescrit : « Quel souci conditionne l’attitude de l’analyste ? Celui d’offrir au dialogue un personnage aussi dénué que possible de caractéristiques individuelles ; nous nous effaçons, nous sortons du champ où pourraient être perçus cet intérêt, cette sympathie, cette réaction que cherche celui qui parle sur le visage de l'interlocuteur, nous évitons toute manifestation de nos goûts personnels, nous cachons ce qui peut les trahir, nous nous dépersonnalisons, et tendons à ce but de représenter pour l'autre un idéal d'impassibilité » (“L’agressivité en psychanalyse”. Rééd. in Écrits, 1966, p. 106).

Il notait de sérieuses difficultés à cette diffusion :

• « La psychanalyse américaine est en crise, en faillite. Les analystes ne font presque plus de psychanalyse. La crise est là depuis cinq ans environ. […] Pour gagner leur vie, ils font de la psychothérapie, de la psychiatrie, ils travaillent dans les hôpitaux » (p. 175).

• Le cloisonnement des Écoles : « Ce n’est pas la même orthodoxie à New York, à Chicago ou à Los Angeles. Un qui est orthodoxe dans le Middle West, ce n’est pas la peine qu’il mette les pieds à l’Institut de New York. A New York, c’est Arlow, Brenner, Edith Jacobson qui donnent le ton, et ils sont toujours assez attachés à Hartmann, Löwenstein et Kris. C’est ce qui fait finalement l’unité à New York. A Los Angeles par contre il y a plein de kleiniens. Et ça n’existe pas, Mélanie Klein, à New York » (id.).

• La rigidité des responsables de la formation psychanalytique : « Ce sont tous des grands obsessionnels, tout le monde le sait, ils aiment ça, ils aiment se réunir entre eux » (p. 176).

• Les traductions d’une sélection des Écrits et des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse « sont assez mal faites, plutôt illisibles, et le peu d’intérêt que l’éditeur y a mis n’a rien aidé » (p. 175).

• Un « préjugé » à l’égard de Lacan : « Il est manifeste que les gens d’ici pensent que Lacan est une sorte d’aristocrate de la psychanalyse, et que eux sont des démocrates, des egos égaux, et donc qu’ils ne pourront pas apprendre Lacan » (p. 176).

A lire Schneiderman, ses clients ont joué un rôle important dans sa réorientation.

Il relate qu’ils voulaient s’engager de façon plus productive dans la vie. Ils disaient : « Voilà mon problème, que devrai-je faire pour cela ? » De moins en moins disaient : « Voilà mon problème, qu’est-ce que cela signifie ? » Manifestement les gens voulaient de la guidance, non des interprétations. Ils avaient rejeté la conception traditionnelle de la thérapie. Ils voulaient des avis pratiques 2.

En 2014, Schneiderman a publié The last psychoanalyst 3. Le titre fait référence à une des thèses de l’ouvrage, à savoir que Lacan est le dernier psychanalyste qui a cru en l’efficacité de la cure freudienne, mais qui a fini par constater que c’était un leurre. Lacan en est venu à déclarer en 1977, quelques années avant sa mort, que la psychanalyse est « une escroquerie » : « Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué. […] Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le monde. […]Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi. Dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse. Il est clair que l'homme passe son temps à rêver qu'il ne se réveille jamais. Il suffit de savoir ce qu'à nous, les psychanalystes, nous fournissent les patients. Ils ne nous fournissent que leurs rêves »4.

Schneiderman fait remarquer que Lacan ne se contente pas de dire qu’il s’est trompé. Le mot « escroquerie » est lourd de sens. Il indique que Lacan a continué à pratiquer des cures alors qu’il avait constaté qu’elles n’avaient guère d’effet thérapeutique. Lacan semble en avoir éprouvé de la culpabilité.

Une des principales thèses de Schneiderman est que Freud a voulu faire de la science, mais a produit une pseudoscience, qui s’est finalement transformée en pseudo-religion, avec un culte, des « novices » qui s’initient par le rite de la didactique, des textes sacrés, des dogmes, des « schismes » et la mise à l’index de livres. Avec Lacan, la situation a empiré. Le gourou parisien a réussi à se faire suivre, comme leader d’un culte, alors que les disciples comprenaient très peu de chose de ce qu’il énonçait : « Dans l’Église freudienne, les paroles de Lacan sont devenues l’objet d’un rituel sacré — une sorte de communion — où des autorités sacerdotales récitent ses paroles comme si elles étaient son corps et son sang. […] Si vous assistez à une réunion dirigée par les grands prêtres du mouvement lacanien, vous entendrez des discours servant à s’épancher avec des paroles de Lacan. Toutes les sentences commencent par “Lacan a dit” ou par “Mais Lacan a dit” » (p. 228). « Dans la Sainte Église lacanienne quasi personne ne comprend réellement l’enseignement de Lacan. Ainsi l’ignorance est une glu qui unifie les membres. La plupart des membres sont capables de marmotter quelques formules et citations vides, mais dans l’ensemble ils ignorent et ont toujours ignoré ce que Lacan essayait d’enseigner. Ils sont unis par la passion, non par la raison. […] Cela ne choquait pas Lacan. Il savait que la plupart de ses disciples ne comprenaient pas ses idées. S’il l’avait voulu, il aurait pu recalibrer son enseignement pour qu’on puisse le comprendre. Il ne l’a pas fait. Cela n’a pas semblé le préoccuper » (p. 234).

La situation de la psychanalyse aux Etats-Unis est loin de s’être améliorée depuis les années 1970 : « Aux Etats-Unis, de moins en moins de psychanalystes pratiquent encore la psychanalyse. Certains continuent à s’appeler psychanalystes, mais ils passent de plus en plus de temps à rédiger des prescriptions et à coacher plutôt qu’à pratiquer la “dangereuse méthode” de Freud » (p. 257).

Schneiderman passe en revue une série de traits de la personnalité de Freud et de Lacan, ainsi que les principaux aspects du freudisme et du lacanisme. Voici quelques exemples.

• Freud est le père que la psychologie negative.

« Freud a inventé la psychologie négative en se focalisant sur le côté sombre des l’esprit humain. Il a privilégié les mauvais rêves, les traumatismes horribles et des motivations dépravées » (p. 253). Son nom évoque la sexualité refoulée ou frustrée, non la sexualité joyeuse. Pour lui, la sexualité c’est avant tout le désir de commettre l’inceste.

• La cure freudienne n’est guère efficace dès qu’il s’agit de problèmes sérieux Le seul cas d’hystérie, traité par sa propre méthode, que Freud a présenté en détail est un échec : Dora 5. Il a essayé de convaincre ses confrères et ses lecteurs qu’il avait raison contre elle.

« Freud appelait la psychanalyse “la cure par la parole”, mais elle a toujours été plus des paroles qu’une cure » (p. 3).

• La psychanalyse est aliénante « La psychanalyse est un processus d’extraction. Elle cherche à vous extraire de votre vie et de vous introduire dans la psychanalyse. Un bon freudien veut que vous travailliez avec lui afin qu’il devienne l’expérience la plus significative de votre vie » (p. 61).

• Le psychanalyste ne se laisse jamais remettre en question « Selon la règle du transfert, vous exprimez votre colère à la mauvaise personne au mauvais moment au mauvais endroit dans de mauvaises circonstances » (p. 63).

• Schneiderman évoque l’absence de règles pour l’admission à l’École freudienne de Paris, au début de sa création, par Lacan en 1964 : « Il n’y avait pas de procédures d’admission, pas de curriculum, pas de remise de diplôme. Les gens venaient et partaient, suivaient les cours comme ils voulaient, sans s’encombrer d’exigences académiques. Les aspirants analystes poursuivaient la connaissance, non des références » (p. 160).

• Schneiderman rappelle son expérience de la didactique avec Lacan « Contrairement à la plupart des psychanalystes, Lacan ne faisait pas semblant d’être l’écran vide [blankscreen] proverbial (ou préverbal). Actif, animé, en mouvement, il semblait plus intéressé à faire un show qu’à rester tranquillement dans un fauteuil. Parfois Lacan recevait des patients en pyjama ou en peignoir. Parfois il lisait le journal ou mangeait un repas. Parfois il comptait des billets de banque et les assemblait avec des agrafes. Parfois il faisait ou défaisait des nœuds. Parfois il semblait écouter intensément ; parfois il semblait perdu dans ses propres pensées. Parfois il était affable ; plus souvent il était grossier et dédaigneux » (p. 141) 6.

• L’interprétation que donne Schneiderman des séances raccourcies a sensiblement changé : « En modifiant de façon unilatérale sa pratique et en omettant d’en donner l’explication, Lacan faisait comprendre qu’il pouvait faire ce qu’il voulait parce qu’il était celui qu’il était. Des collègues croyaient qu’il représentait la vérité freudienne. D’autres y voyaient une pure provocation. Assurément, son intention était de montrer sa surnormalié »

• Schneiderman analyse l’évolution de l’École lacanienne, notamment les conflits et sa dissolution « Tandis que les véritables religions enseignent la camaraderie et l’amitié, la pseudoreligion freudienne était destinée à produire le conflit et le psychodrame » (p. 165).

Schneiderman évoque beaucoup d’autres thèmes, notamment les conditions socioculturelles du développement de la psychanalyse en Europe et aux Etats-Unis, l’interprétation des rêves et des désirs, la vie conjugale de Freud, les manipulations de patients par Freud, les mœurs de Lacan, ses relations avec Heidegger, la dissolution de son École (« du grand Guignol »), la thérapie cognitive de Beck, le film « Le Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », etc.

7 comments:

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  3. One more time, I'll get this right...

    And for the rest of us ignorant Americans, we have a google French to English translated version

    https://translate.google.com/translate?hl=en&sl=fr&tl=en&u=http%3A%2F%2Fstuartschneiderman.blogspot.com%2F&sandbox=1

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  4. I know a few words, but French I neither read nor speak. I see Google does a bit better.

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  5. Stuart, Cliff notes please?

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  6. What would be really nice would be for some of the readers of this blog to post a few comments on the Amazon site... as a review of the book.

    Apparently, that has been too much to ask.

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  7. A third oops, here's the correct google translate link. (the other one was going to latest blog)
    https://translate.google.com/translate?hl=en&sl=fr&tl=en&u=http%3A%2F%2Fstuartschneiderman.blogspot.com%2F2015%2F02%2Fjacques-van-rillaer-reviews-last.html&sandbox=1

    Or a shortcut!
    http://tinyurl.com/m7y88hn

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